Dans les années 1970, le genre de la comédie musicale est très largement dominé par les Américains, et les rares productions qui se jouent en France ne sont que des adaptations. C’est à ce moment que naît dans la tête de Michel Berger un projet fou : créer un opéra-rock futuriste et dystopique en français. Pour le suivre dans ce plan insensé, il s’entoure du producteur et parolier canadien Luc Plamondon. Ensemble, en deux ans, ils inventent Starmania. L’histoire dépeint, de manière quasi-prémonitoire, un Occident unifié, gangréné par la corruption et les tentations fascisantes, où tout le monde rêve de devenir une star, à n’importe quel prix. Chaque personnage a son rôle et son charisme : Johnny Rockfort, chef de gang rebelle et sa complice Sadia, Marie-Jeanne, serveuse aliénée par son travail, Zéro Janvier, politicien extrémiste qui brigue la présidence de l’Occident, Ziggy, disquaire timide et rêveur…

L’album s’écoule à plus de deux millions d’exemplaires en 1978, rien qu’en France. La première représentation l’année suivante au Palais des congrès de Paris, avec quarante chanteurs, danseurs et choristes et des décors démesurés est auréolée de succès : un show à l’américaine, en somme. Dans l’équipe, on retrouve des grands noms comme France Gall dans le personnage de Cristal, ou des stars montantes comme Daniel Balavoine qui campe Johnny Rockfort, avec des chansons devenues cultes comme « Quand on arrive en ville », « Les uns contre les autres » ou « S.O.S. d’un terrien en détresse ».
De nombreuses versions furent montées après l’originale de 1979, y compris en anglais. Une nouvelle mise en scène par Thomas Jolly est donnée à la Seine Musicale de Boulogne à l’automne 2022.

Quarante ans plus tard, le propos de cet opéra-rock n’a pas pris une ride. Starmania critique les manipulations médiatiques et politiques, les dérives de la technologie, l’asservissement au travail, la société du spectacle, la soif de célébrité, d’argent et de pouvoir. Bref, une solide remise en cause du système, le capitalisme. En 1978, Starmania dénonçait des maux qui nous affligent encore aujourd’hui, et dont certains reviennent quand on les croyait derrière nous ou improbables. Pourtant, le sida, les guerres, la pauvreté, le Covid, le sexisme et les désordres écologiques sont hélas bien de notre temps, tandis que la toile des réseaux sociaux semble nous engluer chaque jour un peu plus et nous oblige à épouser de nouvelles normes sociales inquiétantes.

Né en 1947 à Neuilly-sur-Seine, Michel Berger est baigné de musique depuis toujours et commence à la pratiquer assez tôt. Au lycée, il écrit et compose. Repéré par une maison de disques, il entame une carrière d’interprète (à condition qu’il poursuive sa scolarité). C’est finalement en tant que directeur artistique et compositeur qu’il fera des étincelles, car Berger sait écouter. En 1971, un voyage bouleversa son rapport à la musique. Il parcourt les États-Unis, se gave de soul, de blues et de jazz, comprend que la musique peut se décliner sur plusieurs genres… De retour en France, à 25 ans il compose énormément, notamment pour ses muses Véronique Sanson puis France Gall. Michel Berger publie plusieurs disques de valeur et signe des succès populaires comme la comédie musicale Starmania en 1978 avec Luc Plamondon, des morceaux comme “Quelque chose de Tennessee” pour Johnny Hallyday ou encore “Résiste” chanté par France Gall. En 1992, l’artiste s’effondre en pleine partie de tennis dans le Sud de la France. Sa mort brutale marquera le public et elle contribuera à nourrir sa grande popularité, encore aujourd’hui.

Luc Plamondon né en 1942 à Saint Raymond au Québec est l’auteur de dizaines de chansons, pour Françoise Hardy, Johnny Hallyday, Julien Clerc ou Diane Dufresne. C’est en voyant la comédie musicale Hair lors d’un passage à New York qu’il découvre sa voie. Ainsi, en 1975, il commence à écrire une comédie musicale, ou plutôt, un opéra-rock, avec un compositeur français, Michel Berger. L’album Starmania sort en 1978, puis en 1979 devient opéra sur scène et entre dans le club des classiques de la chanson française, avec “Le blues du businessman”, “Les uns contre les autres” ou “SOS d’un terrien en détresse”. Ils vont également mettre sur scène la crème de la chanson française de l’époque : France Gall, Daniel Balavoine, sans oublier les Québécois : Fabienne Thibault, Nanette Workman, Claude Dubois. Fort de ce succès, il crée toujours avec Michel Berger un deuxième opéra rock, La légende de Jimmy qui entretient le mythe de James Dean. Mais c’est avec Notre Dame de Paris sur une musique de Richard Cocciante, qu’il renoue avec un immense succès populaire et international.