Taraf de Haïdouks

Après la chute du mur en novembre 1989, les anciens pays communistes d’Europe de l’Est s’ouvrent au monde. Pour les habitants de cette région, l’Ouest est synonyme d’espoir, de liberté et de richesse, nombre d’entre eux tentent leur chance de ce côté du monde qui leur était interdit jusqu’alors. A l’inverse certains occidentaux éprouvent une grande curiosité à découvrir les trésors cachés de ces pays.

Ainsi en 1990 deux jeunes belges passionnés de musiques, Stéphane Karo et Michel Winter débarquent en Roumanie. Ils se rendent à Clejani, un petit village tsigane des environs de Bucarest où un ethnomusicologue leur a vanté les mérites de la musique jouée par la caste des musiciens traditionnels lautaris. De fait, Clejani regorge de virtuoses habitués à jouer dans les fêtes qui accompagnent les récoltes et à animer les fêtes sans fins qui accompagnent mariages et enterrements de leur communauté. Leur musique basée sur les cordes (violons, contrebasse, cymbalum..), l’accordéon, les chants et les flutes peut être belle et triste à vous remuer l’âme, mais le plus souvent elle est vive joyeuse et enivrante. Les deux compères décident alors de monter un groupe de lautaris. Ils auditionnent des musiciens avec lesquels ils choisissent un répertoire et à leur enseignent les rudiments du comportement scénique adapté à de ce qu’attendent les publics occidentaux. Karo et Winter baptisent le groupe qu’ils ont constitué Taraf de Haidouks, l’Orchestre des bandits d’honneur, en langue rom et les managent.

Après un premier album “Musique des tsiganes de Roumanie”, sorti sur le label Crammed Disc en 91 qui grimpe rapidement en tête des charts de World Music, le Taraf de Haïdouks se fraye un chemin doré à travers le circuit des salles et festivals occidentaux. Leurs prestations endiablées soulèvent l’enthousiasme. Il y a ces chants profonds, ce rythme soutenu, le numéro du vieux Nicolae Neacsu qui fait étrangement résonner son violon à l’aide d’un crin de cheval attaché aux cordes, les sourires espiègles et un entrain que rien ne peut arrêter. Après les concerts ils se dépêchent de sortir de scène pour déballer leurs disques pirates, vendre leurs instruments et continuer à jouer pour faire la manche.
De nombreuses personnalités de la musique, du cinéma ou de la mode succombent à leur charme. En 93, le réalisateur Tony Gatlif les place au centre de son film Gadjo Dilo, en 99 ils participent au film “The Man Who Cried” de Sally Potter avec Johnny Depp qui ne cesse depuis de vanter leurs mérites. La même année le couturier japonais Yohji Yamamoto, les engage comme mannequins pour présenter sa nouvelle collection et les américains du Kronos Quartet les invitent à les rejoindre sur la scène du Royal Festival Hall de Londres. Au début des années 2000, ils donnent une série de concerts et enregistrent deux albums remaquables et remarqués, Band of Gypsies et Band of Gypsies 2, avec la fanfare macédonienne Kocani Orkestar.

Les musiciens s’enrichissent, se construisent des maisons et contribuent à l’amélioration des conditions de vie de leurs familles et des habitants de Clejani.

Mais ces musiciens ne sont pas immortels. Des musiciens originaux, le premier à partir est le violoniste Nicolae Neacsu suivit quelques années plus tard par le joueur de cymbalum Dumitru Baicu le violoniste Ion Manole et le chanteur Ilie Iorga. D’excellents musiciens les remplacent, mais en quittant le monde ils emportent souvent avec eux des morceaux de répertoires traditionnels qu’eux seuls connaissent. Les jeunes générations peinent à s’engager dans ces musiques traditionnelles leur préférant des styles plus modernes et la mode des musiques des Balkans retombe un peu en Occident. Toutefois le groupe continue et en 2015, pour fêter les 25 ans de leur carrière international, le label Crammed disc édite un nouvel album « Of Lovers, Gamblers & Parachute Skirts » et le Taraf de Haïdouks reprend la route remplissant toujours les salles.