Partido Alto

Écrite en 1972 pour le film Quando o Carnaval Chegar de Carlos Diegues, dans lequel Chico Buarque joue l’un des rôles principaux, “Partido Alto” est une chanson majeure de la musique populaire brésilienne (música popular brasileira ou MPB).

Ce courant musical nait au Brésil dans les années 60, dans un contexte de dictature militaire où sévissent les inégalités sociales, économiques, mais aussi la censure. Cette dictature est maintenue par une répression totale de toute personne suspectée de rébellion et une suppression des libertés individuelles. Chico Buarque en fait les frais en 1968. Il est condamné, comme d’autres chanteurs engagés, à une peine de prison qui le mènera à l’exil en Italie, avant de revenir au Brésil en 1970.

Au départ influencée par la deuxième génération de la bossa nova, mais aussi plusieurs genres folkloriques traditionnels brésiliens la MPB ne se caractérise pas par un style musical précis. Le dénominateur commun se trouve plutôt dans une importance marquée des paroles. Ce travail du texte permet souvent des critiques du régime dictatorial, essayant de naviguer entre les mailles du filet de la censure pour faire parvenir ses messages aux oreilles des auditeurs.

Malheureusement pour Chico Buarque, “Partido Alto” ne passe pas ce filtre d’Etat et il se retrouvera contraint de modifier ses paroles pour que le régime autorise la diffusion de sa chanson. Par exemple, “titica” (mot vulgaire pour désigner la matière fécale) devient “coisica” (mot affectueux traduisible par “petite chose”), mais surtout le mot “brasileiro” (“brésilien”) dans la phrase “Na barriga de miséria, eu nasci brasileiro” (“Dans le ventre de la misère, je suis né brésilien”) devient “batuqueiro” (batteur/percussionniste). En effet, dans une période de dictature militaire, toute présentation de l’identité nationale sous un jour défavorable est sujette à caution, car pouvant être interprétée contre le régime.

Dans ces autres vers qui résument l’esprit de la chanson, le parolier laisse transparaître une critique sociale du Brésil sous la dictature : “Je vais courir à travers le monde, donner une bouillie / Pour voir si quelqu’un se laisse emporter par le son de la cuíca / Et un gros câlin pour ceux qui restent”. La vie n’est pas enviable et le régime n’offre aux Brésiliens que des espoirs de fuite.

Enfin, le ton de la chanson est volontairement provocateur. Se mêlent des incitations à la désobéissance face à l’autorité (“Dieu m’a donné des jambes longues et beaucoup de malice / Pour courir après le ballon et fuir la police”) avec un usage de la figure de Jésus-Christ plein de dérision. Si aujourd’hui il peut paraitre anecdotique de lire “Jésus-Christ va encore me payer, un jour il m’expliquera / Comment il a mis au monde cette petite merde”, dans le contexte brésilien cela relevait de la provocation au régime. En effet, une des grandes doctrines de la dictature militaire était de lier l’identité brésilienne à une identité chrétienne (faisant fi des autres croyances et identités présentes au Brésil). Tourner la figure de Jésus Christ en dérision, en faire quelqu’un contre qui on va se venger, revenait à demi-mot à proférer ces menaces contre les dirigeants du régime. Tout sauf anecdotique !

Avec “Partido Alto” Chico Buarque offre derrière des rythmes entraînants une critique cinglante du régime dictatorial en place et nous livre avec poésie qu’il en a le “saco cheio” (“ras le bol”, ou littéralement “plein le sac”, ce dernier mot désignant aussi les bourses en tant qu’attributs génitaux masculins).